
En marge de l’actualité brûlante du Coronavirus, il me semble important de prendre la pleine mesure de la triste nouvelle du décès du Professeur André Gouazé, information que vient de nous communiquer le Pr Serigne Maguèye Guèye. Je voudrais à mon tour, quoiqu’avec moins de verve et d’éloquence, rendre hommage à l’illustre disparu.
C’est par une froide matinée de Janvier 1979 qu’il me reçut dans son bureau de Doyen de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Tours, ville située à 225 Kms de Paris, à mi-chemin entre la capitale française et Bordeaux.
J’étais accompagné par le Secrétaire Général de la Faculté et venais d’arriver dans la ville où enseigna le Président Léopold Sédar Senghor, pour un stage d’Assistant Associé dans le Service d’ORL dirigé par le Pr Jean Reynaud, à l’Hôpital Bretonneau.
Après une chaleureuse conversation, le Pr Gouazé se leva et nota de sa main, à l’intention du Secrétaire Général, un certain nombre d’instructions visant à faciliter mon insertion dans le système hospitalo-universitaire de Tours. Il portait un costume noir, une chemise blanche et une cravate noire, tenue dans laquelle j’allais le voir pendant 30 ans.
Rapidement intégré dans le service de Mr Reynaud, j’allais y passer deux années inoubliables de ma vie.
L’Hôpital Bretonneau et la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Tours ont la particularité d’être logés dans la même enceinte.
Outre ses fonctions de Doyen, Mr Gouazé était responsable, comme l’indique le Pr Guèye, du Service de Neurochirurgie et de l’enseignement de l’Anatomie.
Etant de Garde, je fus souvent appelé à examiner des malades hospitalisés en Salle de Réanimation Neurochirurgicale, victimes d’un traumatisme crânien et présentant une otorragie ou une épistaxis.
La Faculté de Médecine de Tours disposait d’un des plus grands laboratoires d’Anatomie d’Europe. Ce laboratoire avait l’avantage – si j’ose dire – de recevoir des cadavres frais, de personnes qui avaient fait don de leur corps à la science. J’appris avec étonnement que ces personnes, regroupées en association régionale, remettaient un chèque pour être membres… Ces cadavres étaient destinés aux travaux pratiques des étudiants en médecine, et aux exercices de dissection des chirurgiens. Ses deux plus proches collaborateurs pour l’enseignement de l’anatomie étaient le Pr Jean Jacques Santini, Neurochirurgien, et Jacques Laffont, Neuroradiologue. Ce dernier a effectué plusieurs missions d’enseignement à Dakar dont mes camarades et moi-même avons bénéficié, en 2e année de médecine. Mon ami Jacques Desmé, Responsable du laboratoire, me passait un coup de fil lorsque l’ambulance y déposait un corps. Je pus ainsi consolider mes connaissances en anatomie cervicale et en techniques chirurgicales, à travers des dizaines de séances de dissection.
Plus tard, de retour à Dakar, j’introduisis des séances de dissection dans le cursus de formation pour les jeunes ORL.
Doué d’un grand sens de l’autorité, autant que d’organisation et de vision, Mr Gouazé détient le record de longévité au poste de Doyen, à Tours : de 1972 à 1994.
Devenu Professeur de médecine très tôt, il comprit rapidement qu’un bon étudiant ne fait pas nécessairement un bon enseignant. Il joua dès lors un rôle remarquable dans le développement de la Pédagogie Médicale à Tours. Un petit nombre de sénégalais, dont le Professeur Serigne Maguèye Gueye, bénéficia de cet enseignement si important pour nos jeunes facultés. Parlant de Pédagogie, il dit d’ailleurs dans un de ses nombreux ouvrages, qu’il m’a gentiment dédicacé, en 2004 :
Dans le monde d’aujourd’hui, le concept qui doit hanter, hanter toute la société, toutes les sociétés, le seul peut-être qui vaille n’est autre que la formation des hommes à leurs responsabilités de demain. Et je pense tout particulièrement, bien sûr, à la formation des futurs médecins, garants de la santé, le bien le plus précieux.
Sa compréhension de la fonction le mena tout naturellement à consacrer une part importante de son temps et de son énergie à la Coopération internationale. Ainsi, avec son soutien, de nombreux jeunes africains bénéficieront d’une formation complémentaire à l’Hôpital Bretonneau. Ce fut le cas pour deux de nos camarades : les Professeurs Aynina Cisse et Souleymane MBoup, pour ne citer que les militaires.
Lors d’une de mes visites estivales à Tours, je trouvai dans le Service de mon ami le Patrice Beutter, successeur de Mr Reynaud, quatre ORL africains : un togolais, un burkinabé, un gabonais et une ivoirienne. Tous sont actuellement des professeurs dans leurs pays.
« Chantre de la Francophonie médicale », pour reprendre l’expression de Maguèye, il ne l’a pas seulement chantée : il l’a aussi servie, avec conviction, pertinence et passion. Il aimait bien citer le Général De Gaulle :
« on ne réussit rien sans passion »
Ainsi, il fut le Président Fondateur de la Cidmef (Conférence Internationale des Doyens et des Facultés de Médecine d’Expression Française) en 1981.
C’est bien la Cidmef – il importe de le retenir – qui prit la décision historique d’organiser à Dakar la première Session de Concours d’Agrégation en Médecine, Pharmacie et Médecine Vétérinaire, pour le compte du Cames (Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur), en Novembre 1982.
Pourquoi Dakar ?
Parce que Dakar est la capitale du Sénégal, pays du Président Léopold Sédar Senghor. Un axe Dakar de coopération Dakar-Tours existait déjà, notamment dans le domaine de la Virologie et de la Bactériologie. Le Programme Hépatite Hépatome en collaboration avec les Pr I Diop Mar, Philippe Maupas et François Denis, tous les deux de Tours, permit à de nombreux sénégalais du Sine Saloum, de bénéficier du vaccin contre l’Hépatite. Le Colonel Souleymane MBoup y joua un rôle remarquable. Mr Gouazé soutint sans faille ce programme.
Parce que Dakar abrite la première Faculté de Médecine d’expression française en Afrique Subtropicale.
Parce que la Faculté de Médecine de Dakar était dirigée par le Pr Ibrahima Diop Mar. Mr Diop Mar – Paix à son âme- a dirigé et structuré le Service des Maladies Infectieuses de l’Hôpital de Fann, actuellement au cœur de la lutte contre le Corona Virus. Homme d’une grande autorité, et d’un grand sens de la méthode, il s’imposait sans peine du haut de ses 155 cm. Le Service de Santé des Armées du Sénégal lui est redevable, comme à son prédécesseur, le Pr Marc Sankalé.
Parce que Mr Diop Mar était le Vice-Président de la Cidmef.
Le Grand Amphithéâtre de la Faculté de Médecine abrita donc la cérémonie d’ouverture, présidée par Mr Abdou Diouf.
Admirablement préparé et organisé, le concours se déroula dans des conditions optimales, avec la participation de membres du jury et de candidats provenant de plusieurs pays francophones d’Afrique et d’Europe.
Sur les 4 candidats sénégalais, 3 réussirent et renforcèrent le personnel de la Faculté.
En 2016, on comptait déjà, 1200 enseignants d’Afrique et de Madagascar promus depuis le concours de Dakar.
Ainsi qu’on le voir, des milliers d’étudiants, et d’enseignants, du monde entier, sont redevables à Mr Gouazé.
Last but not least, Mr Gouazé est bien des nôtres, en sa qualité d’Ancien Elève de l’Ecole de Santé Navale de Bordeaux.
Selon le communiqué de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Tours, un hommage solennel lui sera rendu « dès que les circonstances le permettront ».
Il est à souhaiter qu’il en soit de même à Dakar.